samedi 9 juillet 2016

La fissure

Du mur s'échappent des chuchotements, voix passées que je ne veux plus entendre. Je veux juste effacer ça, le détruire. J'ai été, je suis devenu, les choses changent. On a vu glisser dans le présent le monstre. Il portait en lui un reflet du Scorpion. Evanescent, agonisant, il a failli m'atteindre et je l'ai pris de vitesse. Il m'a suffi d'un estoc pour le faire disparaître, et la fissure s'est refermée. Il reste sur le mur une trace sombre, qui part facilement si on frotte. Revoir le Scorpion, même son image seulement m'a effrayé, m'a épuisé. Le monstre n'est plus, il est parti. Le passé s'est refermé et la fissure n'est plus là. Le présent se construit de plus en plus, la salle est de plus en plus ordonnée. À mesure que la lumière s'allume, je me rends compte qu'elle est immense, la place ne manquera pas. J'ai des dizaines, des centaines, des milliers d'idées pour mettre un meuble ici, un tableau là. Et au centre, il y aura une petite boîte. Dans la boîte, des tiroirs, des choses à découvrir, des secrets cachés. Comme des bonbons qui réchauffent le ventre. Certains seront des petits trucs qui ne parleront presque à personne, lire ne suffit pas, il faut la clef des tiroirs pour comprendre. On en rit presque de la fissure, à se demander par quel moyen on a pu avancer avec. Elle est colmatée, avançons

lundi 27 mai 2013

L'écho du monde

C'est une sorte de tango étrange, que l'on pourrait danser dans tous les endroits du monde. Sur des terrasses de bois déchiré par le sel au bord des plages de la Havane, où les seules lumières proviennent de flambeaux piqués dans le sable et où l'odeur du poisson grillé se mêle à celui de l'alcool qui fait tourner la tête. Sur les toits plats des maisons andalouses dans la chaleur d'une nuit commençante laissant le calme et la lourdeur du jour s'effacer au profit des fêtes lancinantes et endiablées. Dans des grands appartements parisiens au parquet vernis et craquant alors que la pluie fait rage dehors. Dans les bras d'une fille qui s'endort ou se réveille un sourire aux lèvres. Au sommet des collines battues par les vents sous le ciel bleu ou à l'ombre d'un arbre planté en plein milieu d'un champ de coquelicots. On peut aussi le danser seul, allongé pendant la sieste. On peut en faire n'importe quoi et ça réchauffe toujours. C'est chanté par une voix rayée. C'est accompagné par une guitare, une contrebasse et un violon qui pleurent en riant. C'est une musique qui donne envie d'aller au bout du monde et qui transporte dans des moments enfouis. On oublie tout et on oscille de la tête, des hanches, des bras. Elle m'a été donnée par un petit chat tout triste et depuis je l'écoute tout le temps, vous devriez faire pareil, enfin je dis ça je dis rien

samedi 20 avril 2013

Avec le collier d'or qu'Émile m'a acheté pour mon birthday

Les premiers mots me rappellent à l'été dernier. Une odeur douce, rappelant un peu le lait de coton ou les berlingots. Il fait chaud, le soleil nous caresse doucement et nous aveugle un peu. La vie est faite de soirées très esthétiques qui rappellent des films à la mode ou bien d'errances agréables. Les déambulations sur l'Île Saint Louis, celle de la Cité ou bien en revenant du pub, on marchait le long des quais, en se disant que la vie devrait être toujours comme ça.
Proust a plus de talent que moi pour ces choses là, je vais le laisser faire et retourner me coucher

mardi 2 avril 2013

Notte pour moi-même

Paris n'est jamais silencieuse.
On la croit endormie des fois, quand au cœur de la nuit certaines rues sont désertes, remplies uniquement des créatures que l'on y imagine. On marche noyé dans une foule invisible composée d'hommes en queue de pie et haut de forme, de femmes dont les robes amples sont soutenues par d'imposantes armatures en bois. Par moments on aperçoit se balançant entre les immeubles des sortes de monstres semblables à des singes qui passent d'un côté de la rue à l'autre en glissant sur des lianes qui n'existent pas. Une ombre vient vers nous et nous parle en silence, on lui répond sans dire un mot. La conversation peut être très longue ou bien la silhouette peut disparaître sans plus de raison qu'elle n'est arrivée. Il arrive aussi que la foule entière qui peuplait chaque recoin s'évapore soudainement. On revient à la réalité, en prenant conscience de chaque chose qui nous entoure, les lumières colorées qui se prélassent sur les murs, les trottoirs, les ponts et la Seine. On s'arrête, on regarde. On se dit que c'est vraiment l'endroit où l'on veut être, au moment précis de cette prise de conscience. Immobile, on écoute, et on se rend compte que nos pas ne sont pas les seuls bruits alentours. Au loin un grondement permanent. Quelque part, le rire d'une fille ou celui d'un homme quand ce ne sont pas les deux mêlés. D'une fenêtre nous parviennent les sons d'une musique électronique. Du fond des boulevards, le bruit acide et preste d'un taxi rouge ou vert. La sensation formidable de tout percevoir d'un coup, chaque chose de façon distincte. Les bruits, les couleurs, le martèlement de nos pas, de ceux des autres. Le grondement sourd des bus nocturnes ramenant chez eux des noctambules pressés.
A l'approche des cafés ou des endroits fréquentés encore ouverts, le tintement des verres, des assiettes, des bribes de conversation se transforment en une chanson qui se mêle au battement de la ville. Dans cette révélation sensible se mêle parfois une image, un souvenir passé ou en devenir et naît alors sur notre visage un sourire imbécile qui ma foi n'est pas désagréable

mardi 26 mars 2013

Merci Bernard

La fille s'appelle Michelle. On ne la connait pas, c'est un film de jeunesse. Le réalisateur est photographe, il l'a fait à 18 ans, pour photographier. Sa femme, sa soeur, une cousine, une copine, on n'en sait rien. On connaît juste son nom, Michelle. Et c'est aussi bien comme ça, mieux même. On peut l'inventer comme ça, on en a le droit. Michelle est la seule chose qu'on n'a pas le droit de changer, parce qu'elle s'appelle comme ça, on le sait, ça nous a été dit. On la voit sur une pellicule 8mm, sans grain, sans bruit du projecteur, sans la chaleur de la lampe, bref, n'importe quoi. Elle est en maillot de bain, d'abord debout, puis allongée, une jambe repliée vers elle, les bras le long du corps et les yeux fermés. On la voit aussi en imperméable, courir vers nous dans la rue puis s'éloigner de nous pour traverser en frôlant les voitures. On la voit aussi dans un habit noir et coiffée d'un chapeau, en train de fumer doucement. On la voit dans un manteau sur la plage, en gros plan, le vent dans ses cheveux. Au ralenti, avec un cheval qui passe derrière. Et puis marchant et courant dans l'herbe, ou tout près d'un arbre. Sans la connaître et alors que je ne la connaîtrai jamais, je l'aime déjà. Ou plutôt son image. Elle a un regard qui vous emmènerait au bout du monde

samedi 16 mars 2013

Séparé

Je suis séparé d'avec moi-même. Une partie de moi veut quelque chose et l'autre en veut une autre. À moins qu'il n'y en ait plus et qu'on ne me l'ait pas dit. Je viens de voir un film où un homme n'est bien que la nuit dans un endroit particulier. J'ai cru au départ ne pas trop comprendre et puis je suis sorti dans le Paris nocturne, seul et je me suis senti bien.
Depuis que je suis arrivé dans cette ville, je l'aime de tout mon coeur et je ne pourrais jamais la quitter pour aller dans un autre endroit. Tout me semble moins beau, moins triste, beaucoup moins passionné que Paris.
J'ai pourtant envie de partir, de rejoindre ma famille et remonter dans l'enfance, celle où on était encore dix pendant les repas interminables d'anniversaire, celle où j'avais plus peur d'une leçon non apprise que d'une lettre recommandée de ma banque. C'était pas plus facile du tout, on était minuscule face au monde mais c'était une difficulté infiniment plus jolie.
Je voudrais aussi partir loin, là où personne ne me connaîtrait, là où je ne connaîtrais personne. Où tout resterait à faire. Pouvoir être qui j'ai envie d'être, changer d'air, changer d'endroit, changer de gens. Et quand ces envies de départ se font sentir, mon amour pour Paris m'interdit tout ça. Je crois que cette ville me happe. Elle ne me ronge pas, pas encore peut-être mais je m'y sens trop bien pour en partir. Il y a plein de choses, plein de pays, plein d'endroits, plein de gens, une multitude d'expériences que l'on ne peut avoir qu'ailleurs mais je refuse de quitter l'oscillation entre la joie et la mélancolie que me procure Paris la nuit. Je ne me sens vivant que lorsque je suis seul et dans le noir. Et j'emmerde Aristote.